Frère Etienne - Emile Fritsch (1897-1972)

 
La Commune et la paroisse de Schnersheim peu­vent être fières, à juste titre, et autant que la Congrégation des Frères de la Doctrine chrétienne de Matzenheim - de compter, parmi leurs citoyens et paroissiens, une personnalité illustre par son intelli­gence, sa culture, sa science pédagogique et l’œuvre considérable accomplie au service de l’enseignement et de l’éducation de notre jeunesse d’Alsace. Je suis heureux, en tant qu’ancien élève de Fr. Etienne et membre de la même congrégation religieuse, de trou­ver une occasion enfin, d’évoquer son souvenir. Je suis sûr de répondre à une attente qui est celle de ses compatriotes, mais aussi celle de ses nombreux élèves qui lui gardent une inoubliable reconnaissance
 
 
LES PRINCIPALES ETAPES D’UNE VOCATION
L’enfant de Schnersheim
 
Emile Fritsch est né le 17 mars 1897, à Schners­heim, un de ces villages bien typiques du plantureux Kochersberg. Ses parents, les époux Xavier Fritsch et Cécile née Richard, animés d’une solide foi chré­tienne, ne négligeaient rien pour poser les assises d’une éducation humaine et morale : la prière et le tra­vail honoraient le foyer, dans le rythme calme et ras­surant d’une époque encore bien imprégnée de tradi­tions religieuses. La modeste demeure abritant l’ate­lier de cordonnerie de M. Fritsch apparaissait singu­lièrement isolée sur la place du village, parmi les fermes cossues alentours. Ce détail d’ordre sociolo­gique n’est pas à négliger : sans doute explique-t-il cette forte et invincible empreinte de caractère qui a marqué Fr. Etienne sa vie durant, toujours craintif lorsqu’il s’agissait pour lui d’affronter le public. Pourtant, à cette timidité naturelle, s’opposaient une énergie et une intelligence précoces si bien, qu’à l’école communale, le petit Emile étonnait ses maîtres et ses camarades par la vivacité de son esprit.
 
Les premiers pas d’une vocation (1897-1920)
 
A Schnersheim, personne ne fut étonné d’ap­prendre que notre bonhomme, à l’âge de 13 ans, quit­tait son village pour entrer au Juvénat des Frères, à Ehl-Benfeld, le 14 avril 1910. L’influence de son oncle, Frère Auguste Richard, fut sans doute impor­tante dans cette orientation première. Durant les 3 années d’études à Ehl, se confirmèrent ses qualités intellectuelles, si bien que les Supérieurs le jugèrent apte à la poursuite d’une formation d’enseignant et d’éducateur.
 
Pendant une année (1913-1914) Emile Fritsch suit les cours à l’Ecole Normale d’Obernai. De là il passe
à l’Ecole Normale de Colmar (1915-1916). Il est par­tout en tête de sa promotion. Les professeurs font son éloge à longueur d’année et demandent son interven­tion chaque fois qu’une difficulté met la classe au défi. Ses condisciples normaliens admirent ses facul­tés d’assimilation, sa soif de savoir, le sérieux, la régularité et l’organisation de son travail, ses succès dans toutes les disciplines. Le certificat d’aptitude pédagogique que lui délivre la Commission d’exa­men, le 28juillet1916, fait état d’excellentes connais­sances en langue allemande, en langue française, en mathématiques et en histoire.
 
Mais la Grande Guerre de 1914-1918 n’en veut pas finir avec ses événements douloureux. Emile Fritsch, comme ses camarades d’Ecole Normale, doit lui aussi payer son tribut de service militaire. Il est enrôlé à la fin de l’été 1916 et affecté à la garnison de Koenigsberg, en Prusse orientale.
 
La paix des armes ramène Fr. Etienne à la maison-mère d’Ehl, où, le 25 mars 1919 en la Fête de l’Annonciation, il entre au Noviciat. Il prend le nom d’Etienne sans doute en souvenir du saint patron de sa paroisse de Schnersheim. Le 25 mars 1920, Frère Etienne se consacre totalement et pour toujours au Seigneur par la profession perpétuelle.
 
Etudes supérieures - composition et publication des manuels scolaires (1920-1933)
 
Et voici une tranche de vie particulièrement active et féconde. Après quelques mois d’enseignement à
l’Ecole des Frères (Mulhouse), Fr. Etienne s’établit pour une douzaine d’années au Collège St Joseph à Matzenheim. Il assure un service d’enseignement et participe activement à la marche de l’internat. Sans attendre, il prépare le certificat d’aptitude pédago­gique exigé par l’éducation nationale française.
 
En ces années 1920-25, après le retour de l’Alsace à la France, les problèmes d’enseignement consti­tuent une préoccupation de premier plan. Il s’agit de répondre à des besoins urgents : formation des ensei­gnants affrontés à un système nouveau de pédagogie, élaboration d’outils de travail scolaire. La maîtrise de la langue française, en une province bilingue soumi­se pendant 50 ans à une politique de germanisation, exige tout à la fois une formation personnelle de qua­lité et la création d’outils pédagogiques adaptés à notre province frontière. Fr. Etienne saisit l’enjeu et se met à l’œuvre sans tarder avec la détermination et l’opiniâtreté qui le caractérisent.
 
De 1925 à 1927, il passe avec succès plusieurs Certificats de Licence, à la Faculté de Lettres de Strasbourg : Littérature française - Philologie alle­mande - Littérature allemande.
 
Pendant la même période il poursuit le projet déjà mis en route dès 1922, à savoir la préparation d’une édition de livres scolaires. Labeur gigantesque mené de front avec les études universitaires puis plus tard avec le travail de professeur. Les années 1927-1933 représentent la période la plus harassante. Nous en reparlerons plus loin.
 
Le responsable et l’animateur de l’Ecole Normale Congréganiste (1933-1 939)
 
Pendant 6 ans, Fr. Etienne prend en charge la for­mation des jeunes frères à la sortie du Noviciat. Jusqu’en 1933, la formation des Frères destinés à l’en­seignement se faisait à l’Ecole Normale d’Obernai. Cette possibilité existait en Alsace sous régime concordataire.
 
La création de l’Ecole Normale Congréganiste est liée à l’admirable floraison des vocations qui, à par­tir de 1932, fait monter d’année en année les effectifs du Juvénat d’Ehl-Benfeld. Frère Auguste Richard, Supérieur général à l’époque, fait appel à une bonne équipe de Frères-professeurs et paie lui-même de sa personne pour assurer aux juvénistes, novices et sco­lastiques une sérieuse formation. Les succès au Brevet élémentaire permettent l’ouverture d’une pre­mière année d’Ecole Normale avec une promotion de l8jeunes frères, dès septembre 1938. La même année, l’effectif du Noviciat laisse prévoir une seconde pro­motion tout aussi importante. Le brillant palmarès de juin 1938 permet d’envisager enfin, avec un certain optimisme, l’avenir de la Congrégation. Mais déjà le canon gronde et la menace nazie ébranle l’Europe.
 
Pendant les années de la Seconde Guerre mondiale(1939-45)
 
Fr. Etienne Fritsch est mobilisé dès 1939, il effec­tue son service en tant que secrétaire de la 23e section sanitaire à l’Hôpital Haxo à Epinal. La plupart des Frères-professeurs étant mobilisés aussi, le Juvénat et l’Ecole Normale Congréganiste doivent fermer leurs portes. Les juvénistes sont renvoyés en famil­le les jeunes Frères normaliens sont affectés à dif­férents postes d’enseignement, dans les écoles com­munales et les collèges de Matzenheim et de Mulhouse.
 
L’armistice conclu, Fr. Etienne revient en Alsace mais déjà sa décision est prise : il ne restera pas dans une Alsace que les Nazis veulent germaniser et où interdiction est faite aux Frères et Sœurs de l’ensei­gnement de s’occuper de la jeunesse. Du reste, les activités passées de Fr. Etienne, comme rédacteur de livres scolaires (en langue française et Histoire de France) ne le mettent pas dans les meilleures grâces de l’occupant qui déjà, à travers l’Alsace, lance le mot d’ordre: “Weg mit dem welschen Plunder.”
 
Fr. Etienne fait des démarches afin de pouvoir quitter l’Alsace annexée. A la date du 19 septembre 1940, le Chef de l’Administration civile répond à la demande faite par Fr. Etienne par le certificat sui­vant : “Der Fritsch Emil, aus Ehl-Benfeld, ist Elsdsser. Er verliisst mit Zustimmung des Chefs der Zivilverwaltung das Elsass und beabsichtigt den Aufenthait im lnnerfrankreich zu nehmen. Er ist daher ungehindert passieren zu lassen. Die Mitnahme von Gepàck (u.a. Bücher) und 5 000 franzôsische Franken ist gestattet.”
 
Ainsi Fr. Etienne rejoint la région parisienne. Il trouve une place de professeur d’allemand au Pensionnat secondaire des Frères Maristes à Lagny (Seine et Marne). Il y enseigne pendant 3 ans, de 5een Première. Trois ans ont suffit pour que le souve­nir de son passage marque les Annales de l’Institution. “Quel remarquable professeur! quelle autorité et quelle compétence !“ répétait encore, 10 ans après, le Fr. Directeur Mariste.
 
En octobre 1943, Fr. Etienne se rapproche de l’Alsace. Il rejoint la communauté des Frères à Darney (Vosges), où Fr. François, Fr. Paul, Fr. Vincent, Fr. Léandre et Fr. Louis tiennent l’Institution St Clément. C’est là que Fr. Etienne apprend les événements de la libération progressive de la France. L’espoir d’un retour au pays natal s’af­fermit vers la mi-septembre lorsque les premiers élé­ments de l’armée française entrent dans la ville de Darney. Mais le front se stabilise en novembre, décembre. Fr. Etienne apprend en janvier 1945 la douloureuse nouvelle de la destruction de la maison-mère d’Ehl et du pénible exode des Frères âgés, éva­cués par Rhinau à Ettenheimmünster en pays de Bade.
 
Directeur de l’Ecole des Frères à Mulhouse (1945-47)
 
En septembre 1945, Fr. Etienne Fritsch est nommé directeur de l’Ecole des Frères. Il succède à Fr. Adrien qui, pendant les années de guerre, a réussi à sauver meubles et immeubles de l’Ecole de la Porte du Miroir. Il revient au nouveau directeur de faire revivre l’établissement. Aidé par une jeune équipe de Frères rapatriés de ja “Zone libre” de Dordogne, Allier et Haute-Loire, il organise l’enseignement avec courage et compétence. Dès l’année 1945-46, les effectifs atteignent le nombre de 500 élèves. En moins de trois ans, ils seront 650. Cette remontée continue sous le directorat de Fr. Fulrad et atteindra 900 élèves, en 1965, lorsque Fr. Simon Anheim, alors directeur, organise le Centenaire de l’Ecole des Frères.
 
La rude tâche de directeur ébranle la santé déjà compromise. En effet, il n’a que 50 ans en 1947 ; mais il a vieilli avant l’heure ; il souffre du foie, des reins et de l’asthme. Les Supérieurs l’appellent à un servi­ce moins épuisant.
 
 
Professeur des hautes classes secondaires au collège de Matzenheim (1947-67)
 
Pendant 20 ans encore, malgré ses infirmités, Fr. Etienne Fritsch consacre ses talents et ses forces à l’activité enseignante où il excelle. Il enseigne le français et l’allemand dans les classes du second Cycle. Le succès de ses élèves au Bac sont remar­quables, le plus souvent de l’ordre de 80 à 95 %. Une fois de plus, Fr. Etienne se fait l’artisan de ce remar­quable patrimoine culturel et spirituel qui fait le pres­tige du Collège et fonde la confiance et la fidélité des parents et des Anciens.
 
Soulignons que Fr. Etienne, en 1947 et 1953, rem­plit les fonctions de Premier Assistant à côté de Fr. Félix, alors Supérieur général. Chargé du secré­tariat général, il participe à l’administration de la Congrégation.
 
A partir de 1960, il doit réduire son horaire d’en­seignant pour raison de santé. Il le fait progressive­ment en demandant que des forces plus jeunes pren­nent sa relève.
 
 
Une retraite de 5 années (1967-72)
 
Des années relativement calmes ! Mais pendant les mois d’hiver 1971-72 l’état de santé s’aggrave. Il est hospitalisé à Sélestat. Son ancien élève, le Dr Andrès Materne lui donne les meilleurs soins. L’hospitali­sation doit se prolonger, mais les forces ne revien­nent pas. Fr. Etienne souhaite ardemment quitter cette terre et se prépare à la mort. Ce que des années de vie austère n’ont pas réussi entièrement, la mala­die, supportée en union avec le Seigneur, le réalise en peu de temps. L’Esprit Saint, par touches secrètes, achève son oeuvre. Alors se révèle toute la richesse spirituelle que l’on devinait en lui malgré ses attitudes réservées et ses sautes d’humeur : une foi confiante, filiale, inspirée par l’esprit d’enfance spirituelle de “sa petite Thérèse de Lisieux”, sa piété mariale. Le sacre­ment des malades lui apporte une grande sérénité et le met dans une disposition de fête. Il rend son âme à Dieu le 29 janvier 1972, à l’âge de 74 ans, dans la 52e année de sa consécration religieuse.
 
FRERE ETIENNE FRITSCH, AUTEUR D’UNE COLLECTION DE MANUELS SCOLAIRES
 
Dans les pages qui précèdent nous avons présenté les étapes de sa vie, de ses fonctions et de ses activi­tés, non pas sous la forme d’une énumération sèche, mais d’une manière qui se voulait vivante. Ainsi, nous avons évoqué au passage son tempérament, son caractère, son prestige d’enseignant et quelques aspects de sa richesse intérieure et spirituelle. Nous avons laissé entrevoir le lien étroit entre sa vie et l’histoire de la Congrégation, sans oublier le contex­te historique qui constitue comme la toile de fond sur laquelle sa personnalité et son oeuvre prennent un cer­tain relief et deviennent plus compréhensibles.
 
Le nom de Frère Etienne Fritsch est lié, pour un plus large public, à l’histoire de l’enseignement en Alsace. Sa contribution au progrès de la pédagogie mérite une étude depuis longtemps souhaitée par ses anciens condisciples, ses amis et surtout ses anciens élèves. Nous tentons ici une première ébauche sans disposer de toute la documentation voulue. Pourtant, il nous a semblé nécessaire de donner à l’oeuvre de Fr. Etienne toute sa dimension en la situant dans la suite des événements qui marquent l’histoire culturel­le de l’Alsace depuis une centaine d’années. A cette histoire, la Congrégation des Frères, Congrégation diocésaine implantée surtout en Alsace, est étroite­ment liée. Son oeuvre au service de l’enseignement et de l’éducation est suffisamment connue, reconnue et appréciée.
 
Comment Fr. Etienne Fritsch en est-il venu à entre­prendre le travail considérable d’une telle collection de manuels scolaires ? Quelles circonstances expli­quent sa détermination et sans doute même son auda­ce ? Quelles sont les convictions et quels sont les che­mins qui expliquent et préparent son entreprise, lorsque, dès 1922, il se décide à rédiger ces manuels? Les réponses à ces questions ne manqueront pas d’orienter l’attention sur les enjeux qui périodique­ment alimentent les débats et les prises de position.
 
“Une pré-histoire” de la collection Fritsch
 
Des personnalités marquantes, entre autres les députés Thomas Seltz, Joseph Kiock, Ed. Fuchs, Mgr Eugène Fischer, des anciens de nos écoles, se plai­saient souvent à évoquer les heures délirantes où l’Alsace, en 1918, accueillait les troupes françaises. Après 50 ans d’occupation allemande, dans un bon nombre de localités, des élus municipaux savaient saluer et célébrer les libérateurs en “un parler fran­çais” suffisamment correct pour provoquer une agréable surprise. C’étaient souvent d’anciens élèves des Frères. Ils avaient fréquenté pendant quelques années, soit le Collège de Matzenheim, soit l’Ecole des Frères à Muihouse. Comment avaient-ils appris “cette langue étrangère” dans une province dont la langue maternelle est un dialecte germanique et à une époque où l’enseignement se donnait en langue alle­mande?
C’est qu’entre 1870 et 1918, l’enseignement du français restait à l’honneur tant au Collège de Matzenheim qu’à l’Ecole des Frères à Mulhouse. Les Frères s’ingéniaient à assurer des cdurs de français au-delà de l’horaire autorisé officiellement. Même les leçons particulières étaient fort bien fréquentées. Frère Auguste Richard, l’oncle de Fr. Etienne Fritsch avait rédigé des manuels très appréciés “Livre de lec­ture” - “Lectures et Exercices de langue française” àl’usage des écoles d’Alsace. Nos directeurs d’école, formés à l’école française d’avant 1870, parlaient et écrivaient un français remarquable. A la maison-mère d’Ehl, Fr. Etienne Fritsch, lors de ses années d’étude au Juvénat, avait été fortement marqué par la personnalité de Fr. Edouard Sitzmann, auteur du Dictionnaire des Hommes Célèbres d’Alsace... Bref, “D ‘Màtzemer sén frànzésch “, tel était le dicton - assez répandu dans le pays.
 
Lorsque l’Alsace redevient française en 1918, les Frères disposent donc déjà de manuels adaptés à la situation du moment. Les ouvrages cités plus haut sont réédités et servent pendant plusieurs années d’outils provisoires, en attendant mieux. Il faut même ajouter qu’ils seront réédités en 1946 dans des cir­constances identiques ou presque : le livre des exer­cices de langue française connaîtra en 1946 sa 20e édition.
 
La mise en chantier d’une méthode
 
Dès 1920, malgré le succès d’édition de ses anciens manuels, Fr. Auguste Richard juge nécessaire de lan­cer un nouvelle collection plus complète, plus conforme à la pédagogie nouvelle des langues vivantes. Il trouve en son neveu, Fr. Etienne Fritsch, le maître d’oeuvre de la nouvelle entreprise. Celui-ci en a les capacités et l’énergie. Mais il s’agit d’abord d’expérimenter la nouvelle méthode, après en avoir arrêté les objectifs, compte-tenu de la situation par­ticulière de notre jeunesse d’Alsace.
 
Fr. Etienne groupe autour de lui une équipe de Frères. Avec eux “il ouvre un chantier pédagogique.” On expérimente, on propose, on sélectionne les meilleurs textes et les meilleurs exercices. Peu à peu les matériaux s’accumulent et la méthode se précise.
 
Fr. Etienne choisit des lectures simples mais de bonne tenue littéraire. Il donne la préférence aux récits qui peignent l’action et suscitent de saines émo­tions. Il recommande le regroupement par Centres d’intérêt des lectures, des poésies, du vocabulaire et des exercices d’élocution. Il se laisse guider par le souci constant de répondre aux difficultés exception­nelles que peut rencontrer une classe bilingue. Ainsi trouve-t-il nécessaire de multiplier les leçons de vocabulaire, “des leçons taillées en pleine réalité” et qui contribuent à assouplir le langage. Au vocabulai­re fourni par les textes, il ajoute un vocabulaire ana­logique le plus souvent sur des thèmes concrets. Surtout, il recommande de ne pas donner un vocable isolé, mais une expression entière formant déjà comme l’embryon d’une phrase.
Tout au long de cette première phase d’élaboration s’affermit une conviction: s’il faut résolument renon­cer à l’ancienne méthode de traduction, il convient toutefois de préconiser l’enseignement parallèle du français et de l’allemand. Nous reviendrons sur ce point dans l’analyse des manuels, et nous verrons comment il a su donner une place importante aux réa­lités régionales (légendes, histoire, géographie humaine et économique).
 
Vue d’ensemble de la “Collection Fritsch” et de la “Collection Patria”
 
Les titres de la collection et les indications respec­tives sont assez éloquents. Ils soulignent l’ampleur du travail réalisé en quelques années. La collection s’étend à l’ensemble des classes primaires. Nous sommes en présence d’une oeuvre qui totalise plus de 2300 pages imprimées - format 14 x 21 - avec près de 750 illustrations.
 
FRANÇAIS:
- Syllabaire amusant et concret - Cours préparatoire
- Je parle français - Premier degré - Cours élémentaire
- Je parle français - Deuxième degré - Cours moyen
- Le doux parler de France - Première partie - Elèves de 10-12 ans
- Le doux parler de France - Deuxième partie - Elèves de 12 à 14 ans
 
ALLEMAND:
 
- Ich terne lesen - Syllabaire (116 éditions - 33~ mille)
- Ich terne Deutsch - Erster Teil - Lese- und €Jbungsbuch (15’ édition en 1935)
- Ich lerne Deutsch - Zweiter Teil - 5., 6., 7., 8. Schuljahr (9~ édition en 1935)
- Deutsche Diktatstoffe
 
HISTOIRE
 
- Histoire nationale et régionale - Cours élémentaires
- Histoire nationale et régionale - Cours moyen 1” degré
- Histoire nationale et régionale - Cours moyen 2 et C.E.P.
 
“COLLECTION PATRIA” parue à partir de 1945 -Collection de manuels à l’usage des écoles de l’Alsace reconquise
 
- Carnet de vocabulaire Français-Allemand
- Parlons français - Premier fascicule
- Parlons français - Deuxième fascicule
- Choix de lectures simples
- Syllabaire amusant et concret
- Petite histoire de France I fascicule
 
La “Collection Fritsch” dans ses traits caractéris­tiques
 
Dans les différentes préfaces de ses manuels sco­laires, Fr. Etienne nous renseigne abondamment sur l’objectif pédagogique. Il parle fréquemment d’une méthode simple, pratique, vivante et attrayante des­tinée aux écoles bilingues d’Alsace et de Lorraine. Ainsi nous donne-t-il lui-même une grille d’analyse. Nous nous bornerons à dégager les traits dominants des manuels de langue française etd’histoire. La comparaison avec d’autres manuels parus à la même époque dépasserait le cadre de cet essai.
 
Un enseignement parallèle du français et de l’allemand
 
Plusieurs fois, l’auteur précise qu’il entend renon­cer absolument à la méthode de traduction “qui a fait son temps dans l’enseignement élémentaire d’une langue”. (N’oublions pas que nous sommes en Alsace, dans les années 1923-30, en pays bilingue, dont la langue maternelle est un dialecte germa­nique). Il ne veut pas, pour autant, pousser l’intransi­geance jusqu’à “nier l’avantage certain qu’offre la possibilité d’utiliser occasionnellement la langue maternelle, soit comme moyen d’orientation avant un exercice, soit comme moyen de contrôle après l’ex­plication. L’important est qu’il n’y ait pas de mélan­ge constant des deux idiomes pendant un exercice.”
 
S’il écarte la méthode de traduction en usage avant 1914, il insiste par contre sur l’avantage d’une concor­dance des deux enseignements du français et de l’al­lemand. Il conçoit les deux cours en deux livres dis­tincts mais selon un plan identique. Le parallélisme dans le choix et la progression des Centres d’intérêt vise à une plus grande concentration d’esprit, à une acquisition plus aisée du vocabulaire et à l’assimila­tion rapide des formes courantes du langage parlé. Economie de temps et d’effort. Avantage précieux aussi dans les classes qui réunissent plusieurs cours. Fr. Etienne insiste : “Les maîtres constateront des résultats parfois surprenants, satisfaisants toujours.” “Le choix et la répartition des matières permettent aux maîtres de mener de front l’enseignement des deux langues. Les progrès dans l’une, hâteront les progrès dans l’autre”.
 
“Une méthode simple et claire”
 
L’expression ici traduit bien l’homme du métier. Fr. Etienne pratiquait “avant l’heure” la pédagogie par objectif. Il visait certes à un enseignement de haut niveau, mais il connaissait l’art de doser l’acquisition du savoir. Il ne se lasse pas à recommander la simpli­cité et la clarté
 
“Le principe d’ordre qui préside à la composition du manuel est la gradation des difficultés grammati­cales et idiomatiques.”
 
“Par l’assimilation lente, progressive et incessan­te des éléments soigneusement dosés, l’enfant construira peu à peu à son usage, une langue simple, facile, réellement à sa portée.”
 
En grammaire, il écarte les définitions abstraites et ‘fait passer à l’état d’habitude les notions gramma­ticales indispensables. “ Il attache surtout une impor­tance au verbe, à son emploi, aux exercices de per­mutation qui, par une gymnastique intellectuelle, fixent les formes verbales par la répétition.
 
En ce qui concerne les textes de lecture, il bannit les morceaux présentant un caractère trop fragmen­taire. Il donne la préférence aux textes concrets, aux textes modernes plus faciles que la langue savante et solennelle du siècle classique. Il cherche à concilier les exigences des instructions officielles qui exigent des morceaux écrits par de grands prosateurs et de grands poètes, avec les réalités souvent tyranniques de notre situation particulière en Alsace. “II partage l’opinion d’un certain nombre d’inspecteurs primaires de l’époque qui pensent que les “livres rédigés pour les élèves des autres départements de France reste­ront pendant de longues années encore, pour nos jeunes écoliers des écoles rurales d’Alsace-Lorraine, des livres scellés.”
 
Une méthode vivante et attrayante
 
Son grand souci est de faire parler les élèves. “ils parleront si le maître a le souci d’individualiser le sujet en appliquant la leçon au milieu spécial de l’en­fant. Ils parleront avec joie pour reproduire les petits récits. Ils parleront si le maître fait dramatiser un petit conte par l’emploi fréquent du discours direct, s’il fait raconter les historiettes par l’un ou l’autre acteur du récit, fût-ce un animal ou un être inanimé. Ils parleront pourfaire l’analyse orale des gravures.”
 
Fr. Etienne fait une très large place aux récits dra­matiques ou amusants, comiques ou moraux. “Le récit est la forme la plus appropriée à l’apprentissa­ge de la langue et spécialement de l’expression orale, “dit-il. Il se prête le mieux à l’élocution, donne aux jeunes le goût de la lecture, réveille et soutien l’attention, permet aux plus jeunes de réinventer l’his­toire, en classe comme en famille. La structure même d’une action bien construite permet l’apprentissage d’une ordonnance claire et de l’expression écrite. “L’abondance et la variété des verbes parle à l’ima­gination, éveille l’intérêt et fournit un merveilleux support à des mimes, des saynètes et des dialogues.”
 
L’auteur a puisé fréquemment dans le trésor des contes, des légendes et des fables. Pour les plus jeunes, il ne donne pas ces textes dans leur version originale, surtout lorsqu’il s’agit d’une forme versi­fiée, mais il adapte le texte à un niveau de langue accessible.
 
La méthode sera enfin attrayante par la qualité technique des ouvrages : typographie et illustration. L’auteur pense que la beauté doit être au service de l’éducation et de l’enseignement. Il réussit à intéres­ser et à conseiller un artiste alsacien, Camille Greth. Celui-ci, pendant 4 ans, séjournera fréquemment à Matzenheim et travaillera en étroite collaboration avec Fr. Etienne pour traduire par le dessin l’objectif pédagogique. Beauté et vérité des formes, beauté de l’esprit qui sait donner une âme aux choses et aux êtres.
 
Ce qui frappe dans cette galerie d’illustrations, c’est la présence quasi permanente de deux acteurs l’enfant et l’animal deux acteurs dont le deuxième sera souvent la savante doublure du premier. Fr. Etienne répétait son petit secret pédagogique :
“L’enfant est ici le premier acteur. “ L’enfant occupe le premier rôle, il est le plus souvent associé à l’ac­tion du récit. C’est à travers ses yeux, son imagina­tion et sa sensibilité que les choses et les événements sont évoqués. Les animaux, amis préférés des enfants, sont présents soit en acteurs ou en specta­teurs privilégiés. Par eux, des scènes très ordinaires prennent une agréable note de poésie et de fantaisie.
 
Les admirables manuels d’Histoire Nationale et Régionale
 
La parution des manuels d’Histoire Nationale et Régionale” est saluée tout particulièrement comme une nouveauté pédagogique ; la presse locale s’en fait l’écho en termes laudatifs : “Voici des leçons d’Histoire qui ne s’effaceront pas dans l’esprit et le coeur des enfants” - “Fr. Etienne Fritsch a réussi un coup de maître.”
 
Pour comprendre cette réaction favorable, voire enthousiaste, il faut savoir que, avant 1918, l’ensei­gnement de l’Histoire occupe une place minime dans nos écoles primaires. On se contente de quelques pages insérées et éparpillées dans le livre de lecture d’allemand. Ces textes tracent le portrait d’un homme célèbre ou racontent un événement historique. Mais aucune préoccupation d’ouvrir les jeunes à l’évolu­tion du passé, à une chronologie et un enchaînement logique des événements. L’Angleterre, la Suisse, la France sont en avance de 10 à 15 ans en ce domaine. Il est temps de renouveler l’enseignement de l’Histoire, selon les instructions ministérielles de 1920 à 1930, et de créer pour les maîtres les “instru­ments pédagogiques” qui faciliteront leur tâche.
Le petit livret d”Histoire Nationale et Régionale” destiné au cours élémentaire est sans doute un chef-d’oeuvre en son genre. Les maîtres en sont ravis. Le manuel s’adapte avec bonheur à la mentalité enfanti­ne et à la situation particulière de nos écoles bilingues. Une histoire racontée et expliquée par l’image. L’auteur trouve en Camile Greth l’artiste capable de créer une illustration abondante et évoca­trice.
 
Dans la préface du manuel, Fr. Etienne explique son choix pédagogique: “Stimulés par leur curiosi­té naturelle, habilement dirigés par le maître, les enfants examineront avec autant de fruit que de plai­sir les petites scènes qui évoquent à leurs yeux le lointain passé de la grande ou de la petite patrie. “Il ajoute plus loin: “Il va de soi que nous ne pouvions avoir la prétention de faire aux petits un cours d’his­toire proprement dite : Nous avons cherché à peindre plutôt qu’à analyser.”
 
Le second Livret d’histoire (cours moyen) prend nettement un autre visage.
 
L’enseignement historique y présente une trame plus serrée et prépare adroitement le chemin vers l’analyse. Il s’adresse à de jeunes intelligences, certes, mais déjà plus ouvertes et plus capables d’embrasser un ensemble de faits. Les événements sont présentés selon la logique narrative qui permet une approche chronologique limitée et susceptible d’être comprise à cet âge mental.
 
Le troisième manuel (Cours supérieur) fait un pas en plus. La présentation autant que le niveau de langue trahissent le souci de former l’intelligence des jeunes à la pensée logique. L’auteur apprend comment analyser les faits dans leurs causes et leurs conséquences. II veut “montrer l’éternel jeu des actions et réactions qui remplissent les siècles.” La variété de la typographie met en relief l’essentiel. La “charpente de l’analyse” est bien soulignée. Un texte en petits caractères complète chaque leçon par des éléments souvent concrets et pittoresques qui sont autant de preuves à l’appui des différents points de l’analyse. Le livre, destiné aux candidats du C.E.P. contenait assez de matière pour servir de guide à la préparation du Brevet élémentaire.
 
 
Une place importante donnée à l’histoire régionale et à l’histoire de la civilisation
 
L’auteur fait entrer l’histoire locale dans le plan de chacun de ses ouvrages. Il ne fait que suivre les direc­tives ministérielles et rectorales. Mais nous savons combien Fr. Etienne salue ces orientations de l’Education Nationale comme une initiative des plus heureuses. Elle correspond exactement à sa manière de voir, à sa riche culture ouverte aux divers aspects de la civilisation. Qu’il traite des événements poli­tiques ou bien de l’évolution sociale et économique, de l’histoire des Arts et des Lettres, de l’histoire reli­gieuse, chaque fois notre passé régional avec nos tra­ditions et nos trésors culturels sont présentés dans leur lien avec l’histoire nationale et parfois même européenne.
 
 
Une prise de position courageuse
 
Fr. Etienne ne cache pas ses convictions lorsqu’il laisse entendre que ses manuels d’histoire nationale et régionale démarquent de l’esprit jacobin et anti-chrétien qui inspire un bon nombre de manuels d’his­toire édités en France. “Dans notre choix, dit-il, nous avons été guidés par des considérations morales et patriotiques autant que par les principes d’une saine pédagogie, traditionnelle s’il le faut, mais hardiment moderne partout où le progrès l’exige. Nous aimons à penser que les maîtres chargés de faire à nos enfants les honneurs de ce magnifique pays qu’est la France, de ce splendide musée que représente son passé national, se féliciteront de n’avoir pas qu’à montrer les ruelles et les égouts, ni à franchir que le seuil de quelques salons réservés.”
 
Au nom de la vérité historique, s’appuyant sur les études sérieuses des spécialistes modernes, l’auteur refuse de faire le silence quant à l’influence profon­de du christianisme sur la destinée et la civilisation de notre pays. “Nos enfants doivent être du moins prémunis contre l’odieuse calomnie qui voudrait faire du Moyen-Age chrétien une époque de barba­rie et d’obscurantisme.” La conscience française et chrétienne n’a jamais cessé de percevoir les rayons mystérieux qui jouent autour des pierres sacrées de Chartres et de Reims, de Paris et de Strasbourg, de Rouen et’ de Metz, témoins éloquents d’une époque qui est loin de ressembler à la nôtre, mais qui ne marque pas moins un moment glorieux dans l’histoi­re universelle des peuples.”
Pour conclure cette brève analyse, nous rappelons que nous avons emprunté souvent d’importants pas­sages à l’auteur des manuels scolaires. Son projet et sa méthode y sont exposés avec clarté. Faut-il conclure que la réalisation est parfaite ? Certainement pas. Le meilleur manuel scolaire présente ici ou là quelque faiblesse, quelques pages moins réussies. D’autre part, comment pourrions-nous porter aujour­d’hui un jugement tout à fait valable et objectif, nous qui baignons dans d’autres conditions culturelles et sociales et bénéficions de tant de progrès réalisés, depuis 60 ans, tant en pédagogie et méthodologie que dans le domaine de l’édition.
 
Comment fut accueillie “La collection Fritsch” en son temps ?
 
Suivant les ouvrages on peut compter entre 10 et 16 éditions entre 1926 et 1938. On remarquera que les circonstances historiques limitent à peu près à 12 ans la parution et l’utilisation de ces manuels sco­laires. L’annexion de l’Alsace, entre 1940 et 1945, porte un coup sérieux à cet immense travail. Les auto­rités nazies procèdent systématiquement, dès l’au­tomne 1940, à un vaste autodafé de tout ce qui rap­pelait la présence de la culture française en Alsace. C’est avec peine qu’on a pu sauver un certain nombre d’exemplaires de cette regrettable destruction.
 
Que dire de l’accueil de la “Collection Fritsch” par les autorités rectorales, les inspecteurs primaires et les maîtres ?
 
M. le Recteur, Directeur de l’Instruction Publique, autorise sans difficulté l’emploi des ouvrages. Son approbation porte respectivement les dates du 6 mars 1928 et du 13juin 1929.
 
L’accueil par les Inspecteurs primaires réclame une réflexion plus nuancée. Quelques-uns reconnaissent volontiers les mérites de ces manuels scolaires et n’hésitent pas à les recommander. D’autres sont plu­tôt réservés, et sans être hostiles, donnent la préfé­rence à d’autres manuels. Il est bon de savoir que, à la même époque où paraît la “Collection Fritsch”, quelques inspecteurs primaires éditent un certain nombre de manuels: Th. Motz, Ad. Lelu, L. Kubler et L. Voelzel sans oublier les Inspecteurs d’Académie, entre autres, M. Bémol, A. Lyonnet et P. Besseige. On peut comprendre, dans ces condi­tions, que l’intérêt personnel des éditeurs entre pour une part dans les motivations d’appréciation vis-à-vis d’une éventuelle concurrence.
 

Ici où là, l’influence d’un inspecteur peut être éga­lement moins discrète, s’afficher en hostilité ouverte par des critiques mesquines. Des Frères, directeurs d’écoles primaires rurales, signalent quelques cas de ce genre. Fr. Ignace Flesch, par exemple, nous a lais­sé une chronique concernant ses démêlés avec l’ins­pecteur de sa circonscription.