Il s’apprêtait à se rendre à la chapelle où il était toujours le premier... Le Seigneur l’a appelé pour faire le grand Passage ( la Pâque), et pour participer dorénavant à la liturgie du Ciel!
Le même jour, nous célébrions la fête de la Présentation de la Vierge MARIE. Notre-Dame a cherché son fidèle serviteur, pour l’introduire dans l’éternité bienheureuse, partager la joie des élus! Une délicate attention de Celle que notre frère vénérait comme sa “bonne maman du Ciel”!.
Je crois pouvoir dire que notre frère est mort “debout”, en état de service. Et son départ se situe dans un contexte de “signes” révélateurs, expression de son engagement, d’une vie toute vouée au service des autres, des jeunes en particulier. La veille encore, il s’occupait d’un élève accidenté. Il venait de travailler à un dossier concernant la communauté. Et sans doute, a-t-il encore mis à jour le fichier des anciens élèves... -Communauté, élèves, anciens élèves: autant de secteurs où il s’affairait quotidiennement, toujours disponible à la moindre sollicitation.
Les obsèques prirent l’allure d’une émouvante manifestation de sympathie et d’amitié. A l’église paroissiale, trop petite pour la circonstance, ce fut la grande foule, avec un fort contingent d’anciens élèves, accourus de près et de loin! Plus d’un m’a fait remarquer la ferveur, voire l’enthousiasme, avec lesquels fut célébrée l’EUCHARISTIE. On eût dit une messe d’action de grâces, de jubilé, placée sous le signe de l’espérance chrétienne! - Ajoutez à cela la remarquable homélie de Mr. l’abbé ROHMER Directeur diocésain de l’Enseignement catholique et curé de la paroisse. Ce fut un vibrant hommage à l’humble et généreux serviteur que fut Frère Nicolas, tout au long de sa vie de religieux éducateur.
Parlons-en, de sa vie, en posant quelques jalons et en faisant revivre quelques étapes importantes d’une longue vie ( 72 ans ).
Charles POIROT est né le 9 novembre 1919, à HOFF ( Moselle), dans une famille d’agriculteurs, dans une de ces grosses exploitations comme on en trouve en Lorraine. Famille nombreuse - sept enfants - (trois sœurs sont encore en vie!) - où le travail de la terre était à l’honneur, dans un climat d’entente, d’entraide et d’une piété authentique. Je laisse la parole à notre frère: “ Je remercie Dieu de tout coeur de m’avoir donné des parents bons et pieux, travailleurs, qui nous aimaient de tout coeur, qui nous ont élevés dans la joie et la foi, pour un avenir meilleur!” (1)
(1) - Je me réfère de temps en temps aux “SOUVENIRS” rédigés par Fr. Nicolas - sur ma demande
Le petit Charles a grandi dans un environnement particulièrement favorable à l’éclosion d’une vocation sacerdotale ou religieuse: la prière quotidienne qui ponctuait la journée de travail - le service de l’autel dans l’église toute proche - le zèle d’un curé et sa dévotion à Ste Thérèse de l'Enfant Jésus, le partage du repas avec le pauvre qui se présentait, etc.
Il n’est donc pas étonnant que son curé l’ait repéré, décelant en lui des prédispositions pour une vocation religieuse. C’est le Cher Fr. Maximin - le “recruteur” comme on disait à l’époque - qui eut gain de cause auprès du curé et auprès des parents. A 13 ans (en 1932), Charles rejoint le Juvénat des Frères, à Matzenheim d’abord, puis à EHL, à partir de 1935. Notre postulant avait une grande vénération pour le bon Frère Anselme, lorrain comme lui, mais surtout homme de foi et de prière!
Frère Nicolas entre au Noviciat en 1937; il émet les premiers vœux, le Ier septembre 1938. Ce n’est qu’après la guerre de 39-45, qu’il fit sa profession de vœux perpétuels, le 14 septembre 1947, avec un groupe important de jeunes frères. - -
A la sortie du Noviciat, il est affecté aux travaux des champs, dans la ferme de la Maison-Mère à Ehl. Il ne poursuivit donc pas ses études, non pas qu’il n’en fut pas capable, mais l’amour de la terre avait pris le dessus. Ce contact avec la réalité de la terre, faut-il le dire, lui a valu un sens aigu des lois de la nature et l’arma de bon sens et de réalisme. Plus tard, il devait profiter de ce rude apprentissage, pour se consacrer à l’éducation des jeunes, en tant que martre d’internat; j’y reviendrai.
Revenons aux années de guerre : 1939 -1945. - Incorporé en 1940 dans l’armée française, pour peu de temps, il connut ensuite un moment de répit, jusqu’au jour fatidique - en février 1943 - qui le vit partir au Schleswig-Holstein, en tant qu’incorporé de force dans l’armée allemande, comme ce fut le cas pour beaucoup d’alsaciens et de lorrains. -En septembre 1943, au front russe, il est gravement blessé, et connaît des souffrances atroces au point qu’il a pu écrire: “ Je ne comprends pas encore aujourd’hui comment je suis sorti de cet enfer !“ ( cf. “Souvenirs”). Il est vrai qu’il avait une très grande confiance en MARIE, qui lui fit porter son chapelet dans le “Brustbeutel”, avec les médailles que lui avait confiées sa chère maman. - Blessé aux deux jambes - “mes deux jambes n’étaient qu’une bouillie!” - il eut la vie sauve, grâce au chirurgien personnel de A. HITLER qui l’opéra, la veille de Noël! - Une très longue convalescence s’en suivit; mais il gardait les marques de ses blessures, qui le firent souffrir toute sa vie durant. C’est même à se demander comment il pouvait marcher de son pas énergique que nous lui connaissions!
La guerre finie, le voici en ALSACE, pour préparer, avec Frère Félix BRAUN, la rentrée scolaire de 1945, au Collège St. Joseph à MATZENHEIM. Alors commençait une longue tranche de vie, toute consacrée aux élèves du Collège! - Il fut très actif sur deux fronts: comme secrétaire du Frère Directeur, jusqu’en 1968, et comme Martre d’internat, jusqu’à ces derniers temps, sans trop tenir compte de sa situation de retraité! - Pendant tout ce temps, il fit preuve d’une capacité de travail exceptionnelle; j’en étais le témoin, à partir de 1950, en ma qualité de directeur et plus tard comme supérieur général. Ecoutons le frère lui-même: “... le premier debout et le dernier au lit..., je fermais les portes le soir vers 10 h, pour les ouvrir le matin à 5h....le repos était pour moi, à ce moment-là, un mot inconnu “.- Pourtant son état de santé aurait exigé des ménagements, des moments de détente! Sa détente, il la trouvait auprès de ses chers élèves dont il partageait les loisirs .
Que dire du RELIGIEUX ? Frère Nicolas était homme de foi et de prière. D’une fidélité exemplaire aux prières communautaires, il se faisait un point de fierté d’être le premier levé et surtout le premier à la chapelle... Il fallait des exigences de service impératives, pour qu’il manquât le chapelet du soir. il le présidait encore la veille de sa mort, multipliant les intentions... havait une grande dévotion envers la Vierge MARIE, et plus spécialement à Notre Dame de LOURDES, qu’il visitait régulièrement à l’occasion de ses cures dans les Pyrénées. Cette dévotion, il avait hâte de la communiquer à ses élèves. Avec quelle ferveur, il guidait la prière de ses chers petits ( 6es et 7es), pendant le mois de Mai. Sa voix, pleine d’onction et de conviction, ne laissait pas indifférent. A témoin, ce passage d’une lettre d’un ancien élève: “ Un jour, il m’a offert un chapelet. A partir de ce jour, j’ai eu une grande dévotion pour la Vierge, car il nous en parlait avec tant d’amour! Je puis dire aujourd’hui qu’il est pour quelque chose dans ma vocation ( sacerdotale).”
Sa prière était nourrie de souffrance - physique d’abord -, qu’il dissimulait tant qu’il pouvait. Grâce à une volonté d’acier, la plainte arrivait rarement à ses lèvres! Notre ami-médecin, le Dr. Materne ANDRES
- auquel je voudrais dire notre gratitude pour sa sollicitude envers notre frère - avait coutume de l’appeler: “son miraculé permanent!”, tellement l’attitude de notre frère était un défi à la médecine
Frère NICOLAS nous laisse l’exemple d’un EDUCATEUR dont la qualité dominante peut se résumer en ces deux mots: PRESENCE et DISPONIBILITE
Présent, il l’était dans la salle d’étude, au réfectoire, au dortoir, sur la cour de récréation... Une présence active, attentive, soucieuse d’un chacun, et à l’occasion, exigeante quant à la discipline. Fr. Nicolas jouissait d’une autorité naturelle; plus le groupe était nombreux, plus il se sentait à l’aise... Qui ne se souvient l’avoir vu, à la tête de sa petite troupe, tel le berger avec ses brebis! - Il fallait le voir, en récréation, animer les jeux, organisant des compétitions, célébrant bruyamment la victoire! -il lui arrivait de se fâcher, de se mettre en colère, au point de faire trembler les plus audacieux! Sévère oui, mais juste et équitable: c’est un témoignage qui revient dans les nombreuses lettres de condoléance! - Avec quelle patience, il a essayé d’inculquer aux plus petits, les bonnes habitudes à table! - Il ne s’encombrait pas de belles théories sur l’éducation, mais il avait assez de bon sens pour savoir qu’il fallait une part de dressage dans l’éducation, et par là aider le jeune à se vaincre lui-même et à se débarrasser de ses pesanteurs...!
Présent, il l’était aussi en dehors des heures de service, aux week-ends notamment, pour accueillir les visiteurs occasionnels, les parents de futurs élèves, les anciens de passage... Il aimait rencontrer d’autres personnes, les jeunes anciens surtout... Il avait le contact facile et profitait de ces rencontres pour encourager, consoler, etc. ... Nombreux sont-ils, les anciens, portant témoignage de la bonne éducation reçue, même si ce fut au prix de contraintes et de sévérité, mais que le recul et l’expérience de la vie leur ont permis d’apprécier.
Pour revenir aux Anciens Elèves, on ne saurait passer sous silence son dévouement à 1’ Amicale. Travaux de secrétariat, tenue du fichier toujours à jour, expédition de la revue “L’ANCIEN”, participation aux réunions du Comité: autant d’occasions pour continuer à SERVIR ceux qu’il portait dans son coeur et dans sa prière!
Je n’ai fait qu’esquisser quelques traits de la personnalité, riche et contrastée, de notre frère . Comme tout un chacun, il a dû payer son tribut à la fragilité humaine, tout d’abord en s’acceptant tel qu’il était, avec ses limites et ses défauts... Il en a souffert, de ses faiblesses, d’autant plus que sa sensibilité et son émotivité, aiguisées par la souffrance physique, étaient très vives, au point que les mots dépassaient quelquefois la portée de son intention première.
Frère Jules Lehmann
Supérieur Général